La mort du jeune aviateur anglais.
[...] ça se passe dans un village très près de Deauville, à quelques kilomètres de la mer. Ce village s'appelle Vauville. Le département, c'est le Calvados. Vauville. C'est là. C'est le mot sur le panonceau. Quand j'y suis allée pour la première fois, c'était sur le conseil d'amies, commerçantes à Trouville. Elles m'avaient parlé de la chapelle adorable de Vauville. [...] C'est de l'autre côté de cette église qu'il y a le corps du jeune aviateur anglais tué le dernier jour de la guerre.
Et au milieu de la pelouse, il y a un tombeau. Une dalle de granit gris clair, parfaitement polie. Je ne l'ai pas vue tout de suite, cette pierre. Je l'ai vue quand j'ai connu l'histoire. C'était un enfant anglais. Il avait vingt ans. Son nom est inscrit sur la dalle. On l'a d'abord appelé le Jeune aviateur anglais.
Il était orphelin. Il était dans un collège de la province du nord de Londres. Il s'était engagé comme beaucoup de jeunes anglais. C'étaient les derniers jours de la guerre mondiale. Le dernier peut-être, c'est possible. Il avait attaqué une batterie allemande. Pour rire. Comme il avait tiré sur leur batterie, les Allemands avaient répliqué. Ils ont tiré sur l'enfant. Il avait vingt ans. L'enfant est resté prisonnier de son avion. Un Meteor monoplace. [...] Pendant un jour et une nuit, dans la forêt, tous les habitants de Vauville l'ont veillé. Comme avant, dans les temps anciens, comme on l'aurait fait avant, ils l'ont veillé avec des bougies, des prières, des chants, des pleurs, des fleurs. Et puis ils ont réussi à le sortir de l'avion. Et l'avion, ils l'ont extrait de l'arbre. Ça a été long, difficile. Son corps était prisonnier du réseau d'acier et de l'arbre.
Ils l'ont descendu de l'arbre. Ça a été très long. A la fin de la nuit ça avait été fait. Le corps une fois descendu, ils l'ont porté au cimetière et tout de suite ils ont creusé sa tombe. C'est le lendemain, je crois, qu'ils ont acheté la dalle de granit clair [...] L'année après sa mort, quelqu'un est venu pour le voir, ce jeune soldat anglais. Il avait apporté des fleurs. Un vieil homme, anglais lui aussi. Il est venu là pour pleurer sur la tombe de cet enfant et prier. Il a dit qu'il était le professeur de cet enfant dans un collège du nord de Londres. C'était lui qui avait dit le nom de l'enfant.C'est lui qui avait dit aussi que cet enfant était orphelin. Qu'il n'y avait personne à prévenir. Chaque année, il était revenu. Pendant huit ans. Et sous la dalle de granit, la mort a continué de s'éterniser. Et puis il n'est jamais revenu. Il n'y a plus que les habitants du village pour se souvenir et s'occuper de la tombe, des fleurs, de la dalle de pierre grise. Moi, je crois que pendant des années personne n'a su l'histoire en dehors des gens de Vauville. Le professeur avait dit le nom de l'enfant. Ce nom a été gravé sur la tombe : W.J. CLIFFE.
Chaque fois que le vieil homme parlait de l'enfant, il pleurait. La huitième année, il n'est pas revenu. Et jamais plus il n'est revenu."
Marguerite DURAS Extraits de "La mort du jeune aviateur anglais".
In Écrire (Gallimard, 1993).
Tombe de W.J. CLIFFE
Cimetière de VAUVILLE (14).
Photos ©mf dubromel, août 2010
Tribute to W.J. CLIFFE.
Écriture lingère, au fil rouge, sur mouchoir ancien (50 X 50cm).
©Marie-France Dubromel, 2024