« J’ai peu de souvenirs de mon père. Dans ma mémoire, je le revois permissionnaire en bleu horizon.
[…] Un jour, il partit et je ne le revis plus. Il restait pour rappeler son existence, qu’une canne rapportée par lui de la guerre et un vieux pantalon à lui qui traînait dans le grenier. C’était un vieux pantalon de velours. Les enfants aiment à mettre les pantalons d’hommes, car ils rêvent d’être grands pour en porter. Ce vieux pantalon il m’arrivait de l’essayer. Les jambes faisaient accordéon. Mais les années passaient et l’accordéon s’étirait. Mon père n’était pas bien grand, il avait été courbé sous le joug trop tôt pour pouvoir grandir beaucoup. Et puis bientôt son vieux pantalon était pour moi taillé, le vieux pantalon de papa, ce fût mon premier pantalon d’homme; Il ne su jamais que j’avais le même goût que lui. »
Gaston CHAISSAC. Lettre à Camille, non datée. Collection particulière.
La dame qui travaille pour hommes dans le bourg est en train de me faire un pantalon d’un tissu jaune que ma belle-mère avait acheté d’une nouvelle marchande qui s’est remariée avec un réfugié alors qu’elle était veuve d’un fils de gendarme.
Lettre de Gaston CHAISSAC à A J.D. (Jean DUBUFFET) mai mil neuf cent quarante-huit
Gaston CHAISSAC par Robert Doisneau. 1952