"Le Musée Nissim de Camondo est entré dans ma vie il y a longtemps. Dans les années 1920, ma grand-mère rendit visite à ses cousins, à dix numéros seulement de l’hôtel. Je l’ai beaucoup fréquenté lorsque j’ai entrepris l’histoire d’une collection dont j’avais hérité, acquise dans les années 1870. L’invitation à réaliser une exposition ici même, dans cette demeure familiale, représentait un honneur qui s’ombrait d’anxiété. Ce n’est pas simple. On ne devrait jamais abruptement apporter du neuf dans un lieu si imprégné d’histoire. Un frisson d’intrusion. Où sont les limites à ne pas franchir ? Ce n’est pas une maison vide.
[...] Je l’écoute. J’écoute la demeure. Elle bruit de la rumeur des cuisines, de l’office du maître d’hôtel, de la bibliothèque. Puis je me rends dans mon atelier où je commence quelques réalisations en travaillant la porcelaine, l’or, la pierre. Je pense à l’endroit où je pourrais les disposer pour qu’elles amplifient sans heurt certains des échos de l’hôtel, recueillent certains des silences. Je pense qu’il est possible d’être là, brièvement. Je pense qu’il est possible de ne pas déplacer les choses, mais d’ajouter. Car c’est une demeure d’archives, de choses appréciées puis remisées.
[...] Je glisse quelques notes dans la bibliothèque et quelques bols dans le cabinet des porcelaines pour tenir compagnie aux beaux oiseaux de Buffon. D’autres coupes encore dans l’office du maître d’hôtel où l’on réglait avec vigilance la circulation des objets.
[...] Je réalise des petits groupes avec la porcelaine, le chêne et l’or comme matériaux. Je mélange ces fragments. Je les dispose sur les secrétaires où Moïse écrivait à ses amis et aux marchands d’art, sur les bureaux où le chef et le maître d’hôtel écrivaient leurs listes, leurs commandes aux fournisseurs.
[...] Je veux ajouter une nouvelle couche aux archives. J’ai décidé que Moïse avait besoin d’un nouveau secrétaire. Il en possédait quantité. La plupart des pièces abritent un endroit pour s’asseoir et écrire. Mon bureau revêt la forme d’une lettre, de mots écrits en porcelaine appliqués sur la feuille d’or. J’inscris :
« I find this difficult. »
[...] On ne saurait réparer cette demeure ou cette famille. Mais l’on peut indiquer quelques brisures.
Les indiquer proprement, dignement, avec affection. Puis s’en aller à nouveau et laisser la demeure être."
Edmund de Waal
Edmund de Waal au Musée Nissim de Camondo PARIS