COURAGE DE LA FILEUSE
Autant que je me souvienne, ma plus ancienne représentation du courage a été suscitée par l'image de vieilles femmes vêtues de noir et qui, assises sur le quai du port de Collioure, fabriquaient encore , à la fin des années 1950 ou au début des années 1960, des filets de pêche (probablement les réparaient-elles plutôt, moi je pensais qu'elles les fabriquaient). Cette association est étrange à mes propres yeux. Mais d'une certaine façon, elle est demeurée intacte. C'est comme si je pressentais que le courage serait moins l'affaire d'héroïsme dans l'action que d'endurance dans la création. Quel défi, si l'on y pense, que d'entreprendre la fabrication d'un filet de pêche ! Même ma tante qui me tricotait des chaussettes ou de grandes écharpes en laine, était ainsi l'objet de mon admiration. Savoir faire des nœuds, des trames, prévision de la forme à venir et, surtout, l'endurance à suivre une règle d'action dont on ne verra que bien plus tard la forme résultante. Un certain courage, donc : celui de commencer une œuvre de patience, de se donner et de suivre quoi qu'il en coûte une logique expérimentale, celui enfin de persister dans la création de quelque chose qui, comme dans le cas du filet, est bien plus grand – et même bien plus solide – que soi.
(28.12.2014)
Georges DIDI-HUBERMAN. Aperçues ( Les éditions de Minuit, 2018)
Remaillage de filets de pêche. COLLIOURE