RECORTES
( chutes de tissu )
Aperçu de l'exposition à la chapelle Saint Roch. ARGENTAN ( Orne )
les 13-14-15 mai 2016
RECORTES
Le corps absent. Tiré à quatre épingles, venant en droit fil d’un corps réel, à l’extérieur de la scène. Pour le représenter, le vêtir en dessinant ses contours imaginaires avec des mesures exactes au centimètre près, aisance comprise. Ne pas commencer par les courbes, elles viendront plus tard. La géométrie d’abord. Règle, craie, plaque, fil, pointe sèche - aiguille froide - calque, mine à plomb, ciseaux pour la forme. Exploration anatomique par des outils contondants, œuvre de dissection avant reconstruction, voilà l’esprit de la couture. L’atelier, la chambre, le studio sont avertis que quelque chose se trame : matériaux et outils silencieux, mains en suspens, œil aux aguets s’apprêtent à assembler, à en découdre. Il reste à imaginer la surface de repli, le plan de travail qui recevra le mieux la figure déconstruite : le sol, le lit, la table, la presse. Car tout est horizontal avant d’oser le mouvement, le montage.
Structures : dessein initial selon les grandes lignes, tentatives de prendre l’affaire de biais, très peu de repentirs possibles, sutures par le faufilage du bâti, tailler à plat et en relief : réserver. Bien s’entourer : échantillons de tissu et de métal, vernis, velin d’arche, encyclopédies, encres noires, fil rouge et dégradés de gris, félins de passage. Griffer, mordre, grainer, marquer, tracer.
Il s’agirait ainsi d’écrire à la taille douce, de graver à même l’étoffe de la mémoire, de faufiler l’aiguille à travers formes et figures, à l’endroit, à l’envers, bord à bord, à la marge. A bras le corps, cette fois-ci, et sans patrons, sans repères, hors-champ, au plus près du vide et du plein, si près de la chute.
Ensuite viendra l’essayage, la mise à l’épreuve du modèle, autant dire sa réplique non conforme. On reprendra les angles, les mensurations, la place de la pliure à même le tissu comme au cœur du papier, afin de relier les séquences de l’ouvrage. Ajustements savants, essais sur le motif et son double, découpes. Recortès, en langue maternelle.
Variations : cette scène rêvée où les vêtements la nuit quittent les cintres, les costumes de théâtre enjambent la rampe le soir de la couturière en laissant derrière eux des rouleaux entiers de soie, de tulle, de velours frappé. Plus personne pour garder les robes, un vestiaire hors cadre, hors temps, en échappée libre.
De ces fourreaux, corsets, redingotes, gilets, cols, on ne retrouverait plus que la toile, l’empesage, le croquis, les baleines, les lignes de tension, le chemin des épingles, la matrice initiale.
Remontant le cours de leur histoire, ils redeviendraient matières, souples, rigides, luxueuses ou modestes, sans étiquette. Ils fileraient droit jusqu’à l’ébauche de leur marquage à la craie, s’offrant une mise en pièces des origines subtilement orchestrée.
Anamnèse : après tant de décalques, d’épreuves, d’impressions, voici l’envie de revenir à l’épure. Comme on retourne à l’atelier pour se remémorer le regard premier, le silence d’avant la parole, l’esquisse des traits. Le corps retrouvé.
Techniques mixtes, exercices de style menés avec obstination, gravité – et gaieté parfois - pour entrevoir le point aveugle d’où nous venons. A la manière noire, à l’aquatinte, au fil rouge, au tracé, inventer sans répéter, reprendre le motif, déchiffrer les signes : l’empreinte du langage, l’étoffe chamanique, la plaque sombre et son éclat secret.
© Marie-Hélène Giannesini
Texte, estampes et graphismes au fil rouge, exposés sous cadre, sur les murs de la chapelle
Recortes. Le livre
Carnets d'essais de Marie-France Dubromel
Plaque gravée par Marc-Antoine Orellana
Assemblage et composition, à partir de chutes de calques, péparatoires aux gravures de M-A Orellana
Mouchoir-épitaphe, à la mémoire de Marguerite Matrot, inhumée dans la chapelle St Roch. transcription au fil rouge par M-F Dubromel
L'épitaphe de Marguerite Matrot ( 1638 ) sur la pierre tombale
Le jardin de la Chapelle St-Roch,
le 15 mai 2016