"A la prison de Fresnes, sur des morceaux de tissus cachés dans les ourlets de mon linge, j'avais appris la mort de ma grand-mère...
[Plus tard, après le transfert à Ravensbrück]
J'ai terminé mon mouchoir pour Anna* et j'ai brodé dans un angle son matricule. Demain matin, je lui gliserai dans la main quand elle me passera le café par le guichet.Ainsi aurai-je au moins pu faire un cadeau, échanger un sourire avec un être humain.
[...] Cette journée du 24 [décembre 1944] est plus triste et plus longue qu'aucune autre.
[Le 25] Il n'y a pas ce matin d'appel du travail... Je me tiens à côté de la porte et glisse mon petit mouchoir brodé dans la main d'Anna dès l'ouverture du guichet en lui disant " Joyeux Noël " en allemand. Pas un sourire, pas une réponse.
[Le 25 avril 1945] ... la surveillante entre dans ma cellule : " vite, vite, habillez-vous. "...
Quelques instants plus tard, je quitte ma cellule, peut-être pour toujours ? Il me semble que j'y ai passé des années entières, et vécu plusieurs vies. Anna, silencieuse, se tient dans le couloir. Elle a dans la main le petit mouchoir que je lui ai donné à Noël et l'agite discrètement pour me dire au revoir."
*Anna "la détenue âgée qui fait le service des cellules".
Geneviève De Gaulle Anthonioz. La Traversée de la nuit. Paris, ed. du Seuil, 1998
« Ce monde d’horreur était un monde d’incohérence : plus terrifiant que les visions de Dante, plus absurde que le jeu de l’oie. » Germaine TILLION.
Mais aussi, Charlotte DELBO et beaucoup d'autres.
Manteau de mémoire pour Charlotte DELBO et beaucoup d'autres. Marie-France Dubromel, 2002