Un matin à la Bibliothèque de l'Arsenal.
Du linge sous les doigts : rêche douceur inhabituelle pour des mains accoutumées à présent au froid de l'archive. Du linge blanc et solide, glissé entre deux feuilles, recouvert d'une belle écriture ferme : c'est une lettre. On comprend qu'i s'agit d'un prisonnier de la Bastille, depuis longtemps enfermé. Il écrit à sa femme une missive implorante et affectueuse. Il profite de l'envoi de ses hardes au blanchissage pour y insérer ce message. Anxieux du résultat, il demande à sa blanchisseuse de bien vouloir, en retour, broder une minuscule croix bleue sur un de ses bas nettoyés; ce sera pour lui le signe rassurant que son billet de tissu a bien été reçu par son épouse. Retrouvé en archive, le morceau de linge dit à lui tout seul qu'il n'y eut certainement pas de petite croix bleue brodée sur le bas blanchi du prisonnier.
Arlette FARGE Le goût de l'archive (ed. du Seuil - Points - Histoire)