"Ici repose Astoniphronque Bonscop, décédé le 22 juin 1874, à l'âge de cinquante sept ans. Bon père, bon époux, le ciel l'attendait, la terre le regrette. Passant, priez pour lui !"
Ces quelques lignes barraient de noir une jolie petite pierre tombale en forme de porte romane, avec des saillies simulées à l'aquarelle. Un étai, pareil à celui qui assure l'équilibre des cadres-chevalet, l'inclinait gracieusement vers l'arrière.
C'est un peu sec dit mon frère...Je me rattraperai sur Mme Egréminy.
Il consentit à me lire une esquisse : -"O ! toi le modèle des épouses chrétiennes ! Tu meurs à 18 ans, quatre fois mère !
Ils ne t'ont pas retenue, les gémissements de tes enfants en pleurs ! Ton commerce périclite, ton mari cherche en vain l'oubli !..."
J'en suis là.
- ça commence bien. Elle avait quatre enfants à 18 ans ?
- puisque je te le dis.
- et son commerce périclique ? Qu'est-ce que c'est un commerce périclique ?
Mon frère haussa les épaules.
- tu ne peux pas comprendre, tu n'as que 7 ans. Mets la colle forte au bain-marie. Et prépare moi deux petites couronnes en perles bleues pour les jumeaux Azioume.
[...]
Mon frère voulut pour honorer ses blanches tombes, la terre molle et odorante, le gazon véridique, le lierre, le cyprès.
Au bout d'une semaine, ma mère passa par là, s'arrêta, saisie, regarda de tous ses yeux... et cria d'horreur, en violant du pied toutes les sépultures...
Mon frère souffrit sans protester qu'on traînât son oeuvre aux gémonies [...] il me prit à témoin avec une mélancolie de poète :
- Crois-tu que c'est triste, un jardin sans tombeaux ?
COLETTE, La Maison de Claudine, FERENCZI, 1931
Cimetière d'ARGENTAN (Orne), 2007